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Thursday, July 08, 2021

Expédition Autonomie complète - expédition première mondiale

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Cet article a été publié en premier sur le BLOG (et page Facebook) de la SEF.

Depuis plusieurs années, les expéditions et exploits de divers aventuriers et explorateurs sont mis en avant dans les médias et sur les réseaux sociaux. C’est une très bonne chose pour l’écosystème puisqu’on a besoin d’une certaine visibilité qui permet à terme de vendre un produit dérivé comme un livre, un film ou une conférence. Évidemment, certaines personnes sont peu ou pas médiatisées et on n’entend pas parler de leur exploit ou alors simplement dans un cercle restreint lié à la discipline comme la spéléologie.

Depuis les années 1980, le nombre d’expéditions à caractère sportif (avec un objectif de record) explose et comme dans tout « sport », il y a certains codes à respecter par la communauté. Il n’y a pas de fédération nationale ou internationale sur les expéditions sportives mais il existe une terminologie, un vocabulaire qui est compris des plus anciens et qu’il faut connaître. Le danger de ne pas maîtriser ce vocable est que le novice annonce une expédition et commet une erreur qui puisse fritter fortement la communauté.

En bref, régulièrement la communauté découvre une publication trompeuse à propos d’une expédition qui la rend aux yeux du public plus difficile qu’elle ne l’est en réalité ; soit de manière volontaire en utilisant un mot vague sujet à interprétation, soit de manière maladroite. L’exploit est alors embelli par un journaliste qui ne connaît pas bien le milieu et lecteur y lit un récit attirant qui paraît audacieux mais qui ne l’est pas en comparaison à d’autres expéditions.

Parfois, les non-dits font qu’il y a clairement un mensonge sur le déroulement d’une expédition. Ce cas est rare mais pas anecdotique.

Les 2 problèmes les plus récurrents concernent les premières mondiales et la notion d’autonomie complète (ou totale). Il y a de la subjectivité lorsque ces points sont abordés mais au fil du temps s’est dégagé un certain consensus.

Explications
Note : ce texte se veut concis et ne détaille qu’en partie le problème qui existe lorsqu’on manque de connaissance ou de précisions dans le descriptif des expéditions avec exploit.

Les premières mondiales.
Il y a les « grandes » premières mondiales comme gravir en premier l’Everest ou atteindre un pôle. Dans les grandes premières notables il y a les styles et les variantes. Gravir l’Everest en solo ou sans oxygène est un style différent. Une variante est par exemple une nouvelle route. On peut être le premier à gravir l’Everest selon une nouvelle route ou aller au pôle en partant d’un autre point de départ. Souvent lorsque le défi est plus difficile, engagé ou dangereux, la communauté reconnaît l’exploit.

Il y a aussi les diverses premières qui dépendent de la personne : premier de telle nationalité ou ayant un attribut comme un handicap (aveugle).

Il y a des premières qui font le buzz et qui n’en sont pas vraiment. Le premier à faire un snapchat en haut de l’Everest. En soi c’est une première mais cette première aurait très bien pu être réalisée précédemment et ne démontre pas une nouvelle manière de réaliser l’exploit qui demande une préparation, intelligence ou prise de risque notable.

Louis-Philippe Loncke Simpson Desert Trek 2008

Vous pouvez tenter de devenir la première personne à atteindre le sommet de la planète avec un casque rose. On risque plus d’en rire que de vous féliciter.

Certaines personnes inventent des premières mondiales un peu ridicules que l’on peut facilement démonter : être le premier à faire 100km en moins de 8h en kite en Antarctique… alors qu’une personne avait déjà couvert 600 km en 24h auparavant et ne s’en n’est pas vantée parce que c’est une distance régulièrement atteinte.

Il y a des premières qui sont des combinaisons de défis qui ont du sens et d’autres pas. Le challenge des 7 sommets a du sens (gravir le plus haut sommet de chaque continent). Être le premier à traverser à pied les 5 plus grandes îles du monde a du sens ? C’est moins évident car en fonction de la définition prise, on n’a pas les mêmes 5 îles. De plus comment définir une traversée d’un endroit ? Traverser l’Italie du Nord au Sud ou d’Est en Ouest n’est pas pareil. Doit-on ajouter la traversée des grandes îles qui font partie de l’Italie comme la Sardaigne et la Sicile ? Dans tous les cas, tout aventurier et explorateur un peu sérieux se doit toujours de présenter la carte du trajet.

L’autonomie complète.
Un sujet qui fait débat encore aujourd’hui se situe dans l’interprétation de réaliser une expédition ou un défi en autonomie complète. Surtout en Anglais où l’on peut retrouver les termes « full autonomy, unsupported, unassisted ». On se limitera ici aux défis avec progression « horizontale » entre un point de départ et point d’arrivée bien définis, qui peuvent être le même dans le cas d’un aller-retour ou d’une boucle.

De manière simple, être en autonomie complète c’est ne dépendre de personne pendant la durée du défi. On pourrait dire dans certains cas être seul au monde pendant son défi, l’humanité hors de notre bulle n’existe plus. Le terme peut être utilisé en voile mais il est surtout utilisé pour les expéditions de type polaire (pôle Nord, pôle Sud, Groenland)

En pratique ça donne quoi ?

On refuse de se réapprovisionner ou de recevoir de l’aide en cours de route et cela inclut de ne pas déposer de vivres ou de matériel à certains endroits au préalable. L’erreur régulière est pour les personnes ou groupes qui sont « seuls » sans équipe logistique et qui sont en fait autonomes lors d’aventures longue durée en progression (souvent de la marche). Ils achètent des vivres en cours de route, voire se reposent en hôtel ou chez l’habitant. Comme c’est pas « maman » qui fait les courses car ils sont assez grand pour le faire seul, ils se croient en autonomie complète, ce n’est pas le cas.

Si on marche jusqu’à un lac et qu’un kayak s’y trouve afin de traverser le lac, c’est une assistance car le kayak a été déposé au préalable. Il n’est donc pas possible de prétendre à l’autonomie si on traverse un continent en voilier ou en avion par exemple. Dans ce cas on aurait un long périple composé de plusieurs expéditions qui elles peuvent être en autonomie. Mais il faut bien comprendre que toute autonomie s’arrête dès qu’on se réapprovisionne où qu’on reçoit une aide extérieure.

Critique
Utiliser une route en asphalte ? Une piste ? Un pont ? Est-ce une assistance ? Et bien tout dépend du contexte et il faut comparer au passé. Si on retire les humains, il semble que l’utilisation de structures construites par l’homme n’est pas considérée comme une assistance. On peut donc être en autonomie complète et utiliser cela. Sauf qu’il y a des exceptions à cela. Dans les terres polaires, il n’y a théoriquement pas de route. C’est pour cela (entre autres) que Colin O’Brady a été fortement critiqué après sa traversée de l’Antarctique. Il a utilisé la piste damée par un engin à chenilles qui va du pôle Sud vers la côte. C’est une ligne ou route qui est en plus balisée. L’effort physique et mental (direction à prendre) est fortement rendu plus facile. Et, en comparant les autres expéditions précédentes qui ont évité ou pas emprunté cette piste, ce n’est pas correct. C’est clairement une aide sur des centaines de km.

Ce n’est pas le cas sur un chemin de randonnée officiel bien connu. Si par exemple on décide de faire le GR20 en autonomie complète, eh bien le GR20 utilise des ponts, des bouts de route… et cela ne pose pas de problème puisque le chemin est bien défini et est pareil pour tous.

Louis-Philippe Loncke Tasmania 2007


Si on veut établir et prouver un record en autonomie (complète), il faut s’arranger d’en apporter les preuves. Aujourd’hui un traceur GPS permet de rapporter des points sur une carte en temps réel. On peut y observer le chemin pris, la géolocalisation avec « timestamp » permet d’estimer qu’on a bien une vitesse « lente » si on est fortement chargé au départ (par exemple un sac de 45kgs sur le dos), qu’on a des pauses fréquentes, qu’on n’est pas resté 30 min dans un village (ah, on aurait fait du shopping ?) ou pire qu’on passe une nuit dans le village (dans un gîte ou sous tente ?). Il est aussi évidemment considéré « normal » de ne dormir que sous tente (ou lieu naturel, grotte, à la belle étoile) hors d’un village. Cela donne une indication de preuve supplémentaire. L’inverse est sujet à suspicion. Le GPS étant aussi précis à quelques mètres, prouver que l’on a pris le pont ou qu’on a traversé la rivière plus bas à pied ou à la nage est difficile à prouver si l’on reste à quelques mètres. Si on voulait vraiment éviter les ponts ou routes : on essaye d’avoir un témoin et filmer le tronçon où on s’écarte de 50-100m de la structure humaine et on essaye d’avoir un point GPS de tracking qui ne se trouve pas à proximité du pont.

Pour le monde polaire, les vétérans et spécialistes ont développé les PECS. Les règles et terminologies ont été développées afin de pouvoir annoncer une expédition de manière claire pour tous.

Dans une zone habitée et où il y a des rencontres, on se doit d’uniquement accepter les sourires et la discussion. On n’ira pas jusqu’à se boucher les oreilles si une personne nous dit qu’il va y avoir un orage cette nuit. S’il y a orage on va le voir arriver et puisqu’on dort sous tente uniquement, on va mouiller la tente de toute façon. Savoir la météo n’est pas considérée comme une aide car cela n’aide pas en soi à la partie effort physique de la progression.

On ne refuse pas non plus l’utilisation d’un GPS pour se diriger ou même plus récemment d’un drone pour repérer les crevasses ou les « leads » sur la banquise arctique, cela fait partie du matériel moderne. Certes, Amundsen ou Hillary n’avaient pas cet équipement mais si cela existait à l’époque, ben sûr qu’ils les auraient utilisés. Leurs technologies de l’époque c’était la boussole, le sextant ou le pétrole.

En autonomie, il est normal de pouvoir se servir de la nature : du bois pour faire un feu, de la rivière, d’une mare ou de la neige pour faire de l’eau, de pêcher, chasser ou cueillir des fruits. (Pas les fruits d’un cultivateur près d’un village évidemment).

Et pour l’électricité ? En autonomie, on recharge idéalement par panneau solaire ou via des batteries-packs qu’on transporte. Si on utilise un tracking pour prouver un record, on peut admettre qu’on recharge une batterie sur un réseau électrique. Pourquoi ? Parce que c’est énergivore. Ce qui ne sera pas accepté c’est de par exemple partir avec un smartphone et de le recharger chaque soir dans un gîte parce qu’on l’utilise pour naviguer avec le GPS actif toute la journée. Dans ce cas, on transporte des cartes, une boussole ou un GPS supplémentaire qui lui tient plusieurs semaines sans recharge. Ce qui est clair c’est qu’il faut documenter de manière honnête la manière dont on a réalisé un défi en autonomie complète. Pas de non-dits.

Et les équipes de tournage ? Pareil il faut le dire. Idéalement on se filme soi-même. L’équipe de tournage ne peut pas « toucher » l’aventurier. Une équipe de tournage sur un chemin de randonnée très utilisé, c’est évidemment acceptable car elle ne va pas constituer une aide morale importante. Au contraire, ce fait souvent perdre du temps car il est parfois demandé de « rejouer » un passage plusieurs fois comme passer sur un pont. Dans des endroits très isolés comme les pôles ou les déserts, c’est différent. La solitude (seul ou en équipe) doit faire partie du défi. Donc une équipe qui filme de bout en bout ce n’est plus vraiment de l’autonomie ou disons que ce n’est pas ce qu’on est censé venir chercher dans une aventure engagée, en solitaire et en autonomie. Là aussi on peut tolérer que pour les raisons d’un film, une équipe vienne les premiers ou/et derniers jours du défi, même un peu en cours de route. On accepterait évidemment une équipe au départ de la banquise, au pôle Nord et de l’autre côté de la banquise.

Mais en général, pendant l’expédition on se filme soi-même et même si cela implique souvent de placer un trépied, de reculer, de passer devant la caméra et de revenir chercher son trépied en faisant trois fois la distance.

Louis-Philippe Loncke Tasmania Winter Trek 2016

Anecdotes d’expédition en autonomie :Alors que je mets mon sac à dos bien lourd, un randonneur à proximité ramasse mes bâtons de marche pour me les donner. J’ai dû expliquer de les remettre à terre afin d’être certain de ne pas recevoir d’aide. Cela m’est arrivé deux fois. Pareil pour les personnes qui essayent de m’offrir un biscuit ou autre sucrerie. Il faut refuser.

Conclusion
Il ne faut pas inventer une première mondiale qui est moindre qu’un record déjà établi. Non, on ne peut pas être le premier à atteindre exactement 4000m sur le Mont Blanc et redescendre.

Il faut arrêter avec les premières qui sont multi-disciplines traversant une zone géographique qui n’a pas trop de sens. Etre le premier à propulsion entre Londres et Helsinki en passant par Paris, et cela même si on fait les mers en kayak.

Fini les premières qui sont des combinaisons de défis : gravir l’Everest, descendre le fleuve Amazone en kayak et traverser l’Atlantique à la rame. Ce sont des expéditions superbes, distinctes qui n’ont aucun rapport. Par contre personne n’a encore descendu le plus long fleuve de chaque continent en kayak, ceci a un certain sens.

En autonomie on recherche la manière la plus « difficile » mais pas impossible de rejoindre deux points sur une zone géographique bien déterminée comme un chemin bien défini et connu, le tour d’une île ou d’un lac, une traversée d’un pays, continent, chaîne de montagne ou désert avec des délimitations qui sont choisies, déterminées de telle sorte que personne ne puisse vous contredire. Ne marchez pas en tirant avec une charrette remplie de vivres de Bray-Dunes à Le Conquet pour prétendre que vous êtes la première personne à traverser la France en autonomie.

Enfin, si c’est votre première expédition où vous voulez annoncer un record. Avant d’annoncer cela à vos amis, médias et sponsors potentiels. Renseignez-vous. Ce n’est pas parce que vous n’avez rien trouvé en Français en 2020 sur internet qu’il n’y a pas un Russe ou un Australien qui l’a fait en 1985.

Et surtout, fournissez une carte détaillée du trajet prévu ET du trajet réalisé si fortement différent. Viser Lisbonne – Miami à la rame (6666km) et arriver à Boston (5125km) c’est énorme mais c’est un peu louper son objectif de +-25%.


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