Monday, October 09, 2006

La Grande île de Sable

01-09/10/2006
Le projet.
Le plus grand banc de sable au monde est une île nommée K’gari (avant 2021: Fraser island). Le meilleur moyen d’en voir ses splendeurs est de parcourir une grande randonnée que les australiens appellent « Great Walk ». (Voir carte, de Dili Village à Happy Valley). En Mai 2005, j'avais voulu l’arpenter. A Brisbane, je passais au bureau des rangers pour prendre les renseignements nécessaires. Avec une grande gentillesse, on m'expliqua qu'il était interdit (vivement déconseillé en fait) de marcher seul sur ce géant banc de sable. Les dingos, ces chiens sauvages ressemblants à un croisement entre un loup et un labrador, y sont de la lignée la plus pure et extrêmement dangereux. Ils s'en prennent occasionnellement aux humains. La dernière attaque mortelle remontant au mois d’Avril 2001. Je tentais d'expliquer que j'étais très entraîné et que je ferai attention. En vain, après une discussion de 20 minutes avec les rangers et un appel au ranger principal de l'île, j'abandonnai finalement cette randonnée pour aller pratiquer une activité moins risquée: 5 jours de plongée sur la grande barrière de corail avec comme attraction principale se retrouver au milieu de 40 requins de taille moyenne.

En Novembre 2005, je décide de retourner en Australie et de mettre mon esprit aventureux loin des conseils trop sécurisants des rangers. Cette fois, je veux traverser l'entièreté de l'île selon son axe Sud-Nord. Projet aventureux car je tenterai de le faire de manière autonome (seul, sans assistance et sans ravitaillement) tout en visitant tous les plus beaux joyaux de l'île. Pas d’énorme difficulté au programme mais quelques dangers potentiels à surveiller. Les fameux dingos tout d’abord, les serpents et trouver de l'eau dans la région au Nord de Orchid Beach. Cette région constitue la plus grande difficulté puisqu'elle est non visitée sauf par les 4*4 qui roulent sur la plage jusqu'au phare.

K’gari, la plus grande île (banc) de sable au monde
L’île fait à vol d'oiseau 123 km de long sur 40 km dans sa plus grande largeur. La majeure partie de la superficie est recouverte d'une végétation dense et parfois impénétrable. L'attrait de K’gari ce sont ses lacs d'eau douce et ses sables de couleurs diverses que l'on trouve aux abords de "sandblows", sorte d'étendues de dunes ou la végétation n'a pas pu prendre racine. Une plage interminable à l’Est sert d’autoroute aux 4*4. Malgré une largeur de plage de 3 (à marée basse) à 40 m, certains véhicules arrivent à s'accidenter !

La préparation.
L'attaque mortelle de 2001 avait été sur un enfant de 8 ans par 2 dingos. Après recherches et lecture de documents traitant sur le comportement du dingo, etc. Voici ce que j'ai pu conclure:
  • Ils sont 300 sur une île d'environ 1500 km2 - Un adulte qui se ferait attaquer par plusieurs chiens combatifs est peu probable (il en faudrait de la chance!).
  • Je suis conscient du danger et je peux me défendre: 2 bâtons de marche avec pointe et je garde un piquet de tente en poche comme poignard.
  • J’applique les consignes: ne pas les nourrir, ne pas se rapprocher, faire face, ne pas les provoquer et se défendre agressivement en cas d’attaque.
La carte HEMA au 1:130.000 est amplement suffisante puisque la randonnée est balisée. Longer la plage est un jeu d'enfant, ou plutôt d'adulte car il faut choisir le sillon de sable (traces de 4*4) permettant une avance rapide.

Bref carnet d'aventure - Téléchargez ici fichier Excel
Je quitte mon logement et part en autostop. Une heure plus tard j'arrive à Inskip point. J'attrape la barge qui me dépose au Sud de l'île. Chargé de 20 kg, j'entame mon ascension vers le Nord sur une piste désaffectée. Je suis surpris par la facilité de la marche dans un sable assez compact et recouvert parfois de végétation en décomposition. Comme d'habitude, marcher seul me permet de voir de nombreux animaux notamment des goannas de minimum 80 cm de long. Arrivé au camping de Dili Village, je commence la Great Walk. J'atteins comme prévu le premier lac, celui du Boomanjin. Le lendemain, j'assiste au lever du soleil en miroir dans le lac. Spectacle de couleurs que je déguste avec mon appareil photo.


Sans entrer dans les détails, les jours qui suivent sur la Great Walk se ressemblent : marche facile en tenant une moyenne de 30km par jour et discussions le soir avec les compagnons randonneurs. On échange nos expériences et ils m’encouragent en me demandant de leur écrire si j’atteins mon objectif. Un soir, en arrivant la nuit tombée à la vallée des géants, j'interromps un groupe de touristes terminant leur dessert. Ils me proposent les restes de leur riz au curry Indien. Je leur explique mon aventure sans assistance qui m’oblige à refuser. J’accepte de manger ma ration à leur table et ils s’amusent à tenter de me faire craquer avec leur dessert. Je me nourris par contre de leurs encouragements et sourires.

Une fois le Great Walk terminé, il ne me reste plus qu’à suivre l’autoroute de sable. J’y croise 4*4, bus et avions. Je suscite parfois la curiosité des conducteurs qui ralentissent à ma hauteur pour me proposer de me déposer plus loin. Je refuse chaque invitation ! Je fais un signe du doigt à chaque véhicule qui me croise, geste que les Australiens me renvoient avec plaisir. Cette pratique est très courante dans le pays lorsqu'on est isolé. Il signifie « bonjour, je vais bien.»


Lors de diverses rencontres avec des aborigènes du Queensland, on m’avait mis en garde de malédictions touchant ceux qui iraient se baigner dans les lacs sacrés de la partie Nord de K’gari. Au camping aborigène de Dundubara, je questionne la propriétaire concernant ces mises en garde. Elle m'explique que seuls les aborigènes ne peuvent pas se baigner dans ces lacs sacrés et me félicite d'être un blanc différent des autres car je visite leur royaume à pied. Je lui promets de ne pas me baigner pour respecter le plus fidèlement possible leurs traditions. Je suis finalement invité à suivre un enfant qui me guide sur un chemin aborigène privé me ramenant vers la plage.

C'est à Indian Head, un des seuls rochers de l'île, que je fais ma plus longue pause. La vue y est incroyable. Jonction entre 2 couleurs d'Océans, ce mirador permet l'observation des baleines, dauphins, requins, tortues et raies. J’y assiste ébahi à un événement inimaginable: une raie Manta prend appui dans une vague pour effectuer un vol plané hors de l'eau. Je comprends alors son surnom de démon des mers donné par les premiers grands navigateurs qui furent témoin d'un tel phénomène.


A Orchid beach, je laisse mon nom et numéro de portable à Don le gérant du magasin d'alimentation. Je souhaite terminer ma route vers le Nord par l'intérieur des terres en suivant une route observée sur image satellite. Don m'avoue qu'il existe bien une route, utilisée jadis par l'armée, mais celle-ci est fermée depuis 20 ou 30 ans. La nature y a certainement repris ses droits. J’estime que parcourir ces derniers kms en considérant que je trouve des restes de cette route ne me prendront non pas 1 jour mais 2 jours de marche. Je débute la recherche de la piste oubliée autour du lac Océan. Un touriste australien qui y vient depuis des décades n'a jamais entendu parler d'une route pour rejoindre le phare par les terres. Je pars à la boussole… Grande découverte: les premiers vestiges de la route sont derrière les toilettes du lac. Celles-ci bloquent son accès.

Je suis la route abandonnée et progresse lentement car comme attendu, tout est quasi envahi par les arbres et les plantes. Je tente de me positionner sur la carte afin de trouver de l'eau (un lac donc). Je monte dans les arbres en haut des collines. Malheureusement, je découvre que la plupart des lacs sont asséchés ce qui ne fait que compliquer la tâche. Je dois me résoudre à boire avec parcimonie. Un avantage cependant : je peux traverser les lacs facilement sur une croûte dure et dégagée.


Certains endroits sont de vraies jungles où il me faut passer au-dessus de buissons entrelacés de lianes. Sans machette, je n’ai que deux possibilités pour avancer : passer à travers ou par-dessus. Je marche donc sur les buissons à 50cm du sol ou alors je fais de la boxe thaïe avec mes tibias pour me dégager une voie. Rapidement, la peau s'en va et mes tibias saignent. Après 3 jours de jungle et de douleurs, l’eau et les vivres me manquent, c'est la rage qui me permet d'avancer car je suis près de la fin.

J'abats les derniers kms et le retour à la plage est signe de délivrance. Léger, je rejoins le phare et le cap Nord de l'île. La récompense après tant d’efforts est de pouvoir enfin accepter de monter dans un 4*4 pour rentrer en stop. La sensation de terminer ce projet en devenant probablement le premier à photographier tous ces endroits presque inexplorés me comble de bonheur. Trois jours se sont passés, Don s'inquiétait et m'offre une bière fraîche. Au loin, on entend des touristes discuter d'un gars qu'ils ont vu marcher seul sur l'île.

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